Membre en vedette : Dre Jessica Dy
- Diplôme en médecine de l’Université Western
- Maîtrise en santé publique de l’École de santé publique de Harvard
- Résidence en obstétrique et gynécologie à l’Université d’Ottawa
- Associée du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada
- Expérience professionnelle : Directrice médicale des services mère-enfant et santé des femmes de L’Hôpital d’Ottawa. Auparavant, elle a été chef de la division d’obstétrique et gynécologie générales et vice-présidente de la qualité des soins et de la sécurité des patientes du département d’obstétrique et gynécologie.
- Domaines de recherche : prise en charge de l’accouchement, déclenchement artificiel du travail, césarienne et AVAC, qualité des soins et sécurité des patientes
Conversation avec la Dre Jessica Dy : Instaurer la confiance et s’adapter au changement
Par Kerrie Whitehurst
Q: Docteure Dy, vous travaillez dans le domaine de l’obstétrique et de la gynécologie depuis près de 20 ans. Au cours de votre carrière, qu’avez-vous observé comme changements ou tendances en obstétrique?
L’un des changements les plus importants que j’ai remarqués est l’interaction dynamique avec les patientes, le passage de la médecine paternaliste à la prise de décision commune. De nos jours, beaucoup de renseignements sont facilement accessibles. Par exemple, les conclusions d’études sortent plus vite dans les médias, la population est donc rapidement informée. Quand elles me consultent, mes patientes sont déjà bien renseignées. L’époque où les patientes n’étaient pas au courant des diagnostics possibles et des options de prise en charge est révolue.
Q: Quelles sont les répercussions, bonnes et mauvaises, de ces changements?
La bonne nouvelle, c’est que les patientes assument la responsabilité de se renseigner et vont chercher de l’information de base. C’est un bon point de départ. Par contre, Dr Google n’est pas toujours la source la plus fiable. Tout ce qu’on lit ne s’applique pas nécessairement à chaque patiente. Il faut remettre l’information médicale, le diagnostic clinique et les options de traitement dans le contexte de santé de chaque personne. Souvent, il est plus difficile de faire « désapprendre » ce qu’une personne a lu sur Google que de lui expliquer à partir de zéro.
Q: Comment avez-vous réagi à cette situation avec vos patientes?
Il faut faire très attention de ne pas balayer du revers de la main les recherches personnelles d’une patiente. Donc, nous devons recadrer les conversations avec elles. Nous prenons soin de reconnaître les recherches qu’elles ont faites avant de les réorienter doucement vers des ressources pertinentes et crédibles. Il faut écouter ce qu’elles ont à dire et chercher à comprendre leur point de vue avant de leur faire part de nos impressions et de nos recommandations. Je crois que c’est la meilleure façon d’établir un lien de confiance entre les patientes et la profession médicale.
Q: Comment votre domaine a-t-il changé sur le plan de la pratique?
L’âge de la première grossesse est plus avancé qu’avant. Il y a aussi beaucoup plus de grossesses par FIV et plus de grossesses et de naissances chez des couples de même sexe. Ces changements pourraient d’une certaine façon faire augmenter le nombre de déclenchements artificiels et de césariennes. De plus, certaines personnes hésitent à subir un déclenchement artificiel, car en général, les patientes préfèrent un accouchement sans médicaments quand c’est possible.
Q: Comment gérez-vous toutes les préoccupations des patientes?
Il faut présenter toutes les possibilités et expliquer notre raisonnement. Certaines personnes finissent par les accepter, d’autres non. Encore une fois, l’éducation est la clé. Mon travail consiste à fournir aux patientes l’information et les faits, en leur expliquant, par exemple, pourquoi le déclenchement artificiel est le choix envisagé. Mais avant même d’arriver à cette étape, il y a plusieurs occasions de préparer le terrain à chaque rendez-vous de suivi prénatal pour que le déclenchement artificiel, s’il s’avère nécessaire, ne soit pas une surprise. D’habitude, pendant un rendez-vous je dis à la patiente que tout va bien, mais qu’à la prochaine consultation, on va s’attarder à tel ou tel autre sujet. Selon moi, cette approche est toujours mieux qu’aucune préparation.
Q: Comment faites-vous la part des choses entre la nature très personnelle de l’accouchement et son côté médical pour lequel vous avez été formée?
Ce n’est pas nécessaire de les considérer comme deux éléments distincts; il faut plutôt les voir comme un tout. Notre formation nous permet de reconnaître quand une situation normale devient anormale. Nous voulons que l’expérience de la patiente soit aussi normale et positive que possible. C’est là que Dr Google devient utile. Les patientes ont déjà des connaissances, et nous leur transmettons les nôtres quand elles sont prêtes à les entendre.
Q: Quelle est la plus grande difficulté dans votre branche?
Exactement ce dont on parle, l’évolution du domaine. Personnellement, je souhaite dire au public que le visage de l’obstétrique a changé de façon spectaculaire. Malheureusement, une dichotomie persiste dans l’imaginaire collectif à l’égard de l’obstétrique entre l’obstétricien de 60 ans en sarrau blanc qui ne pense qu’à pratiquer une césarienne et les services d’une sage-femme. C’est présenté comme un choix à faire. Sauf que le domaine de l’obstétrique englobe ces deux options et tout ce qui se trouve entre les deux.
Q: Qu’aimeriez-vous que les gens sachent?
Malheureusement, bien des obstétriciens se sentent mal représentés, ou sentent qu’on leur donne le rôle du méchant, car les médias ont tendance à brosser un portrait d’eux peu reluisant. Les obstétriciens sont des fournisseurs de soins de santé qui font preuve de compassion et qui sont formés pour faire les mêmes choses, sinon plus, qu’une sage-femme. Il y a des obstétriciens de 60 ans en sarrau blanc qui font un excellent travail, tout comme il y a des sages-femmes qui font un travail extraordinaire. Malheureusement, les décideurs créent un système qui divise plus qu’il ne rassemble. Donc, mon objectif personnel et professionnel est de déconstruire cette méfiance et de me concentrer sur la sécurité et le bien-être des mères et des bébés.
Q: Pourquoi avez-vous choisi cette profession? Quelle est votre histoire?
J’aimerais dire que c’est une belle histoire. Sauf que, très honnêtement, ce choix s’est avéré la voie qui m’offrait le moins de résistance et qui est devenue pour moi une passion. Je suis allée à l’université en ne sachant pas trop ce que je voulais faire de ma vie. J’ai commencé un bac en chimie et l’un de mes premiers projets était d’étudier le placenta humain. Je me suis dit : « Tiens donc, c’est de la physiologie, ça! C’est de la reproduction. C’est de la médecine. C’est ça que je veux faire! » J’ai adoré aussi la chirurgie. L’obstétrique et la gynécologie unissent les deux facettes de la médecine qui m’intéressaient le plus. Je me sentais comme un poisson dans l’eau.
Q: À quoi ressemble une journée habituelle au travail?
J’ai trois enfants et un mari urgentologue qui travaille par quarts. Disons que la gestion de notre foyer peut être assez compliquée! C’est donc dire que les journées ne se ressemblent jamais. Dans mon cas, je peux passer ma journée à la clinique, en salle d’opération ou faire un quart de jour ou de nuit à l’unité des naissances ou faire une combinaison de ces options… Le début de la journée varie en fonction de ce que mon mari fait. Il n’est pas rare qu’on ne se croise pas pendant 48 heures. Ça peut être assez fou. Mais je me sens très choyée. J’adore mon travail et j’ai des collègues hors pair. Ma famille m’aide beaucoup aussi, ce qui fait toute la différence.
Q: Que faites-vous pour relaxer malgré votre horaire professionnel chargé?
J’essaie de courir. Mon objectif est de courir un 10 km et un 21 km toutes les quelques années.
Q: Qu’est-ce qui se dessine pour vous dans le futur?
J’aimerais voyager plus que je ne le fais en ce moment. J’ai travaillé avec le réseau canadien pour les interventions chirurgicales internationales. Le travail se fait surtout en Afrique. Nous enseignons des compétences qui permettent de sauver des vies à ceux qui vont aussi les enseigner à d’autres professionnels. Ça fait quelques années que j’ai fait ça et j’adorerais m’y remettre.
Aussi, à l’hôpital, j’ai pris un rôle plutôt en administration. Je suis la directrice médicale des services mère-enfant et santé des femmes. Ce rôle demande d’effectuer la planification opérationnelle et des programmes en collaboration avec l’administration et la haute direction de l’hôpital. J’ai suivi il y a quelques années le programme FORCES de la FCASS. À l’heure actuelle, j’ai terminé la moitié du programme en leadership d’affaires pour médecins de la Schulich School of Business et j’ai hâte d’utiliser mes nouvelles connaissances dans mon nouveau rôle. Bien sûr, je continue d’exercer en clinique. Je n’ai aucune intention d’arrêter, en tout cas, pas à court terme.