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ARTICLE DU MOIS

4 Nov 2021

LES FEMMES ET L’APRÈS-PANDÉMIE
Jillian Murdoch

La COVID-19 a touché tout le monde sur la planète d’une façon ou d’une autre. Elle a changé la façon dont on vit, chamboulé le fonctionnement de la société et entraîné de grandes conséquences sur l’économie. Et pourtant, les effets de la pandémie n’ont pas été les mêmes dans toutes les classes sociales. Comme dans la plupart des crises mondiales, la pandémie s’est beaucoup plus fait ressentir chez les groupes marginalisés que chez les riches et les privilégiés. En raison des normes dominantes liées au genre, les femmes, en particulier celles qui n’ont pas une bonne sécurité d’emploi et celles qui assument davantage de tâches non rémunérées, ont porté un lourd fardeau tout au long de la pandémie. À l’aube de la relance, il est important de voir en face les effets inégaux de la pandémie sur la société et de les aborder dans l’après-pandémie.

On évalue la santé d’une société d’après le bien-être de tous ses membres. En ce sens, lorsqu’on fait la promotion de la santé dans la société, il faut tenir compte de tous les groupes démographiques. Des recherches font état d’un lien unique entre le bien-être des femmes en particulier et celui de la société dans son ensemble. Des données probantes éloquentes suggèrent un lien de causalité entre la santé et le bien-être maternels et la santé transgénérationnelle de la population, la prospérité et la résilience sociétale1. Avant la pandémie, les gouvernements et les scientifiques suivaient les effets des maladies non transmissibles (MNT) dans la société. Les recherches des dernières décennies à ce sujet montrent que la santé et le bien-être de la mère ainsi que les expériences de vie en bas âge des enfants ont une grande incidence sur la santé des enfants plus tard dans la vie2. Par exemple, les mères atteintes d’une MNT, comme le diabète ou une maladie cardiovasculaire, peuvent être à risque élevé d’accouchement prématuré, lequel augmente le risque que l’enfant soit lui aussi atteint d’une MNT3. Ce phénomène peut avoir des conséquences sur l’ensemble des membres de la société. La santé des femmes et des enfants est le pilier de la santé de la population. En ce sens, il est important d’envisager l’après-pandémie en tenant compte des inégalités entre les sexes, c’est-à-dire en faisant un effort pour prioriser la santé et le bien-être des femmes et s’investir en ce sens.

La capacité d’une personne à favoriser sa santé et son bien-être est grandement influencée par les inégalités sociales et économiques. Il est important de reconnaître la valeur de la priorisation de la santé des femmes dans l’amélioration de la santé de la population, mais il est d’autant plus important de reconnaître les barrières socioéconomiques qui y règnent. La pandémie a exacerbé bien des inégalités entre les sexes. Ces conséquences sont vastes et variées et elles peuvent être comprises sous différents angles. Du point de vue économique, les femmes ont été plus vulnérables à la perte d’emploi et à l’insécurité d’emploi que les hommes en raison des rôles qu’elles jouent dans le marché du travail, plus particulièrement à l’échelle mondiale. Dans beaucoup de pays du Sud, les femmes occupent des postes de bas échelons et moins officiels, ce qui les rend plus susceptibles aux mises à pied4. À grande échelle, ce phénomène se traduit par l’attrition plus rapide des revenus, ce qui a pour effet de miner l’autonomie financière de bien des femmes5. Malgré le mouvement sociétal général vers un partage des tâches ménagères, les femmes demeurent plus susceptibles d’assumer à la maison des tâches non rémunérées, mais essentielles4. Bien que ces tâches soient essentielles, elles ne sont généralement pas bien reconnues par les gouvernements et n’ont aucune valeur en capital dans la société. Les restrictions sociales imposées pendant la pandémie ont fait que les services de garde sont devenus moins accessibles, ce qui a fait augmenter la quantité de travail non rémunéré que les femmes prennent habituellement sur leurs épaules6. Et comme le télétravail est devenu de plus en plus répandu, les femmes sur le marché du travail ont hérité de tâches conflictuelles. De plus, les ordres de confinement ont fait grimper la fréquence et les risques de violence contre les femmes7. En général, les circonstances favorisant la colère et la frustration dans la société déclenchent souvent une recrudescence de la violence faite aux femmes. La pandémie en est un bon exemple7. Dans le même ordre d’idées, l’accès aux soins et aux services de santé pour les femmes s’est encore plus restreint lorsque les ressources ont été réassignées à la lutte contre la pandémie. Les conséquences se sont manifestées de façon peu surprenante. Par exemple, on compte 1,4 million de grossesses non planifiées dans le monde à cause de la difficulté d’accès aux services de planification familiale pendant la pandémie8. Il est évident que la pandémie a eu de vastes conséquences socioéconomiques sur les femmes.

En ce qui a trait en particulier aux soins de santé, les travailleuses de la santé ont connu des difficultés sans pareil au cours de la pandémie. Il est bien connu que les femmes sont surreprésentées dans les domaines où les conséquences de la pandémie ont été les plus grandes, notamment dans le domaine de la santé. Les femmes représentent jusqu’à 70 % des effectifs en santé, et ce pourcentage peut être plus élevé selon la profession9. Compte tenu de la nature essentielle de ce travail, les travailleuses de la santé sont moins susceptibles de travailler de la maison pendant la pandémie. Ce phénomène impose donc un conflit supplémentaire en ce qui a trait aux tâches rémunérées et non rémunérées. Par comparaison, les femmes sont sous-représentées dans les postes de direction et d’autorité dans le domaine de la santé7. Lorsque la représentation n’est pas égale aux échelons décisionnels, il se peut que les politiques ne tiennent pas compte de toutes les personnes concernées.

La récession qu’a entraînée la pandémie donne une chance en or de miser sur les changements équitables dans la relance de l’économie et le rétablissement de la société. Bien de grandes industries ont souffert pendant la pandémie; les autorités ont la capacité de se servir de leurs investissements pour soutenir les valeurs sociales qui profitent à tous. Les incitatifs gouvernementaux sont une façon de stimuler l’économie pendant la récession1. Par exemple, après la crise financière de 2008 qui a beaucoup touché les États-Unis, les grands investissements dans l’infrastructure ont stimulé la relance parce qu’ils ont créé de l’emploi, ce qui a stimulé l’économie de nouveau. D’un autre côté, le fait de placer les femmes et les enfants au centre de la relance post-pandémique ferait que les incitatifs fiscaux seraient investis dans des secteurs ou mesures qui favoriseraient l’égalité entre les sexes. Les investissements dans le secteur des services (services de garde, services de santé et services aux aînés) auraient d’importants résultats favorables pour l’égalité entre les sexes7. Les femmes représentent une grande part de l’effectif de ces services et profitent des services de ces secteurs. Non seulement des investissements dans ces secteurs y créeraient des millions d’emplois décents, mais ils rectifieraient aussi certaines des lacunes dans la structure de la société qui touchent les femmes de façon disproportionnée7. De plus, les changements politiques qui, par exemple favorisent les télésoins, la souplesse au travail et les congés payés, soutiennent et quantifient une partie du travail non rémunéré que les femmes continuent d’assumer de manière disproportionnée. Ces exemples ne règlent peut-être pas toutes les inégalités entre les sexes exacerbées par la COVID, mais ils donnent une orientation pour combler certaines de ces grandes disparités. Sur les plans de la justice et de l’égalité, on ne manque pas de raisons d’être motivé à corriger les inégalités entre les sexes dans les services. Qui plus est, des données probantes suggèrent que le fait de promouvoir l’accès à la santé pour les femmes peut avoir des retombées sur l’amélioration de la santé de la population en général. Les médecins peuvent jouer un rôle important dans cet enjeu. On se tourne vers eux avec respect et pour connaître la voie à suivre en raison de leur formation poussée, de leurs connaissances, de leur autorité et de leur responsabilité. Pendant la pandémie, la voix des professionnels de la santé a été amplifiée et a servi à orienter les gestes posés pour l’avenir. En plus de leur rôle intrinsèque de professionnels de la santé, les médecins sont aussi en mesure de défendre les intérêts et de renseigner la population. Grâce à ce positionnement, les médecins peuvent jouer un rôle sans égal et orienter les actions futures pour ainsi placer les intérêts des femmes au centre des interventions.


1. Modi, Neena. « Health of Women and Children Is Central to Covid-19 Recovery », [en ligne], British Medical Journal, le 14 avril 2021. [https://www.bmj.com/content/373/bmj.n899].

2. M. A. Hanson et P. D. Gluckman. « Early Developmental Conditioning of Later Health and Disease: Physiology or Pathophysiology? », [en ligne], Physiological Reviews, American Physiological Society, le 1er octobre 2014. [https://journals.physiology.org/doi/full/10.1152/physrev.00029.2013].

3. James R. C. Parkinson et coll. « Clinical and Molecular Evidence of Accelerated Ageing Following Very Preterm Birth », [en ligne], Nature News, Nature Publishing Group, le 7 décembre 2019. [https://www.nature.com/articles/s41390-019-0709-9].

4. Myers Joe. « COVID Isn’t GENDER NEUTRAL- It Hit Women Hardest. How to Reset the World of Work, by the Head of UN Women. », [en ligne], World Economic Forum, le 23 octobre 2020. [https://www.weforum.org/agenda/2020/10/phumzile-mlambo-ngcuka-un-women-jobs-reset].

5. Laura Turquet. « Gender Equality, Sustainability and Social Justice: A Roadmap for Recovery. », [en ligne], World Economic Forum, le 31 mai 2021. [https://www.weforum.org/agenda/2021/05/sustainability-social-justice-women-recovery/].

6. Leah Rodriguez. « Why Do We Need a Global Gender-Responsive Covid-19 Recovery? », [en ligne], Global Citizen, le 12 mars 2021. [https://www.globalcitizen.org/en/content/global-gender-responsive-covid-19-recovery-plan/].

7. « Women at the Core of the Fight against COVID-19 Crisis. », [en ligne], OCDE, le 1er avril 2021. [https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/women-at-the-core-of-the-fight-against-covid-19-crisis-553a8269/].

8. Anastasia Maloney. « COVID-19 Has Led to 1 Million Unplanned Pregnancies: UN », [en ligne], Global Citizen, le 11 mars 2021. [https://www.globalcitizen.org/en/content/unplanned-pregnancies-increased-covid-19/].

9. Emanuela Pozzan. « COVID-19 : Protéger les travailleurs sur le lieu de travail : Les travailleuses de la santé toujours à pied d’œuvre, à l’hôpital comme à la maison », [en ligne], Organisation internationale du travail, le 7 avril 2020. [https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_741139/lang–fr/index.htm].



À PROPOS DE L’AUTEURE

Jillian Murdoch est une récente diplômée du Collège Renaissance de l’Université du Nouveau-Brunswick. Passionnée de santé et de bien-être dans la société, elle poursuit sa formation à l’automne pour étudier l’éthique en santé à l’Université Memorial à Terre-Neuve-et-Labrador dans l’espoir d’en apprendre davantage sur les pratiques exemplaires en soins de santé.